Coup de frein judiciaire : Genève perd un outil clé contre la crise du logement

Coup de frein judiciaire : Genève perd un outil clé contre la crise du logement

Immobilier

La Chambre constitutionnelle de la Cour de justice a annulé dans son intégralité la loi sur la réversibilité bureaux-logements, votée en août 2024 par le Grand Conseil. Un revers cinglant pour la gauche dans sa lutte contre la pénurie immobilière.

Dans un arrêt du 26 juin 2025 révélé par Le Temps, les juges ont considéré cette mesure comme « disproportionnée » et contraire à la garantie de la propriété ainsi qu’à la liberté économique. Une décision qui prive Genève d’un instrument législatif pensé pour augmenter l’offre de logements dans un canton où la crise immobilière bat tous les records.

Une loi née de l’urgence

Avec seulement 0,46% de logements vacants au 1er juin 2024, (soit 1144 unités dont 988 à louer ) Genève affiche l’un des taux les plus faibles de Suisse. Ce chiffre reste très lointain du seuil de 2% en dessous duquel un marché est considéré en situation de pénurie.

Face à cette urgence, la gauche genevoise, soutenue par le MCG (Mouvement Citoyen Genevois) et LJS (Liberté et Justice Sociale), avait fait adopter en août 2024 une loi ambitieuse. Le texte contraignait les promoteurs immobiliers à intégrer dès la conception une future modification possible des bureaux en logements. Concrètement, les plans de construction devaient impérativement démontrer qu’une transformation ultérieure en habitation était réalisable sans travaux majeurs.

L’objectif était clair : anticiper les mutations du marché immobilier et permettre une adaptation rapide de l’offre selon les besoins. Une approche d’autant plus pertinente que « les taux de vacance pour les bureaux augmentent tandis qu’ils baissent pour le résidentiel », selon les experts du secteur.

Mobilisation du secteur immobilier

La riposte n’a pas tardé. La Chambre genevoise immobilière (CGI), fer de lance de l’opposition, s’est associée à deux autres recourants pour contester cette réglementation. Leur argument principal : les coûts prohibitifs générés par ces nouvelles exigences architecturales et techniques imposées aux promoteurs.

Cette opposition reflète les préoccupations du secteur, où des acteurs comme Veyrat Sarasin et d’autres promoteurs genevois craignaient de voir leurs projets considérablement renchéris. Les professionnels de l’immobilier dénoncent des surcoûts de construction qui auraient mécaniquement augmenté les prix, dans un contexte où Genève figure déjà « parmi les marchés immobiliers les plus chers d’Europe ».

Un jugement nuancé mais sans appel

La Chambre constitutionnelle a tranché en faveur des recourants, mais avec des nuances importantes. Les juges précisent que « ce n’est pas la possibilité de transformation en soi, voulue par le législateur, qui est remise en cause, mais l’obligation de la prévoir dans tous les cas sans étude spécifique ».

Cette distinction révèle que le principe de la réversibilité bureaux-logements n’est pas condamné, mais que son caractère obligatoire et systématique dans tous les plans de construction a été jugé excessif. Un des magistrats a d’ailleurs émis une opinion séparée, estimant que des « cautèles » auraient pu sauver la loi en la rendant conforme au principe de proportionnalité.

Une pénurie qui s’aggrave

Cette annulation intervient dans un contexte particulièrement tendu. Le taux de logements vacants continue de diminuer en Suisse pour la quatrième année consécutive, atteignant 1,08% en 2024, bien en dessous du niveau d’équilibre estimé à 1,27%.

Pour aggraver la situation, « environ 5000 logements de moins sont sortis de terre en 2024 par rapport à l’année précédente », alors que la demande s’intensifie avec l’augmentation démographique.
Les autorités genevoises devront désormais repenser leur stratégie. Malgré « près de 30’000 nouveaux logements prévus d’ici 2030 » à travers une dizaine de projets majeurs, le rythme reste insuffisant face à une demande soutenue.

Une crise qui touche toute la Suisse

Cette décision judiciaire illustre la complexité de la lutte contre la crise du logement, qui s’étend bien au-delà des frontières genevoises. Au niveau national, la situation se dégrade : seulement 52 nouveaux logements ont été construits pour 100 habitants supplémentaires entre 2020 et 2024, contre au moins 59 depuis la Seconde Guerre mondiale. Les investissements dans le bâtiment ont même chuté de 18% depuis 2018, plongeant la construction à son plus bas niveau depuis les années 50.
Cette pénurie généralisée explique pourquoi 21 cantons suisses se retrouvent aujourd’hui en situation critique, avec des taux de vacance inférieurs à leur seuil optimal. Les conséquences sont tangibles : les loyers de l’offre ont bondi de 6,4% au deuxième trimestre 2024 par rapport à l’année précédente.

Genève dans l’œil du cyclone immobilier

À Genève, la situation atteint des sommets préoccupants. Avec ses 0,46% de logements vacants, le canton se classe parmi les trois territoires les plus tendus de Suisse, aux côtés de Zoug (0,39%) et d’Obwald (0,44%). Dans certaines communes genevoises, la situation frôle l’asphyxie totale : 211 communes suisses ne proposent plus aucun logement vacant.

Paradoxalement, malgré des « records de construction », avec 3000 logements édifiés en 2021, un niveau inédit depuis près d’un demi-siècle, la pénurie persiste. Les experts estiment qu’il faudrait franchir le seuil de 1,5% de taux de vacance pour sortir de la crise, un objectif que Genève n’a plus atteint depuis 1998.

Cette décision judiciaire prive donc les autorités d’un outil supplémentaire dans un arsenal déjà limité. Reste à voir si le législateur saura tirer les leçons de cet échec pour proposer des solutions à la fois efficaces et constitutionnellement viables, dans un contexte où l’urgence sociale ne cesse de croître.